La bonne plante au bon endroit
Observer
En permaculture, au début de la prise de « possession » d’un site, on dit souvent qu’il faut passer un an sur le lieu à observer son terrain par toutes les saisons et tous les temps. Cette démarche est évidemment l’idéal, car elle permet de bien prendre en considération le fonctionnement de son lieu, cependant, elle n’est pas forcément possible dans le cadre du travail du paysagiste.
En effet, celui-ci doit collecter un maximum d’informations et observer sur un temps souvent court comment fonctionne le lieu. Ces observations doivent permettre de dresser un état des lieux du terrain, qui permet d’en connaître les caractéristiques.
Cette analyse permet de prendre connaissance de ce qui est, afin de travailler avec l’existant plutôt que contre, du moins, c’est la vision que je porte. De cette analyse, des contraintes émergent souvent, mais selon la façon dont on perçoit les choses, ces contraintes peuvent se transformer en atouts, ou tout du moins, comme éléments fondateurs de la démarche du projet…
Dans les Cours de Conception en Permaculture (CCP) que j’ai suivi, j’ai pris connaissance de l’échelle de permanence, créée par Percival Alfred Yeoman. Cette échelle est un outil qui a l’avantage de mettre en avant quels sont les constituants du site qui sont faciles à bouger ou réaménager et ceux qui le sont moins. Ainsi, on retrouve en élément sur lequel il est le plus difficile d’intervenir: le climat, puis le relief et la topographie, et ensuite, l’eau, les routes et accès, les arbres, les structures (bâtiments etc.) les clôtures et enfin le sol.
Le sol est, selon, P.A. Yeoman, l’élément le plus aisément modifiable. Il est vrai, qu’on sait améliorer sa fertilité, résorber une humidité stagnante, influencer son pH… Pourtant, je pense que même si l’on peut mener des pratiques culturales qui œuvrent dans le bon sens, on peut aussi partir du postulat de faire avec. Et il est d’autant plus nécessaire de souscrire à ce principe lorsqu’on exerce le métier de paysagiste.
Le paysagiste ne peut pas avoir le soin quotidien du jardinier lorsqu’il est appelé pour concevoir un espace, il doit imaginer le projet avec ce dont il dispose dans l’immédiat, sous ses pieds.
Faire avec
Cette posture du « faire avec » est ce qui me semble être le plus juste. Elle relève d’une certaine humilité: celle de dire que l’on est pas plus fort que la Nature, que l’on ne s’imagine pas calife à la place du calife.
Je pense que cette attitude peut aussi être adoptée avec profit lorsque le jardinier débute son jardin. Qu’est-ce qui pousse dans mon jardin aujourd’hui? Quelles sont les plantes bioindicatrices qui témoignent de la santé de mon sol? Quels indices puis-je relever dans la flore présente pour déterminer le pH de mon sol, sa nature?
Tel un policier, le jardinier peut enquêter afin de connaître son sol. Il me semble que ce travail permet d’éviter bien des écueils et des déceptions lors de la mise en place des plantes par la suite. Cette méthode relève du principe de réalité, et pas de la projection de nos désirs impérieux sur un lieu.
Prenons des exemples :
- mon sol est clairement calcaire, à tendance sèche. Je voulais faire des tartes aux myrtilles, car cela me rappelle les gâteaux que ma grand-mère me faisait dans les Vosges, et je veux ab-so-lu-ment en avoir dans mon jardin. Seulement, ce n’est pas de chance, les myrtilliers ont besoin d’un sol acide et frais. Mes myrtilliers ne pousseront jamais sur mon terrain, ou à l’extrême limite si je leur fais un grand trou que je remplis de terre acide et dans lequel j’apporte de l’eau en permanence avec un système d’arrosage automatique (mais l’influence calcaire du sol existant se fera néanmoins sentir un jour ou l’autre). Est-ce que cette perspective est bien raisonnable? Est-ce vraiment durable de mettre en œuvre de tels artifices pour cultiver mes myrtilliers? Ne serait-ce pas plus pérenne de voir quelles plantes je peux mettre dans mon jardin, qui pousseraient seules et seraient en bonne santé et plutôt d’envisager d’acheter les myrtilles à un producteur qui lui, peut les cultiver?
- A l’inverse, si mon terrain est très argileux, que ma terre colle aux pieds – dans « ma » Brie, les paysans parlent de terre amoureuse, ce qui est une bien jolie façon de décrire les choses – bref, si cette terre peut me permettre de faire de la poterie à mes heures perdues, je pourrai aussi éviter bien des écueils en faisait une croix sur mes envies de cultures de sauges ou de thyms méditerranéens, qui nécessitent un sol drainé, se réchauffant bien. Je peux aussi, envisager de contourner le problème (puisque je continue de penser que c’en est un), en usant de subterfuges: buttes de culture, plantes en pot etc.
Une bonne analyse est un gain pour la suite
Ces diverses options sont toutes envisageables, mais peut-être faut-il s’interroger sur le besoin réel que j’ai de faire de « l’acharnement thérapeutique » à vouloir maintenir ou implanter une plante inadaptée à mon jardin?
Le temps passé à étudier, contempler, observer un site, à l’arpenter, n’est vraiment pas du temps perdu, mais du temps gagné pour la suite et aussi des économies de faites!
Bien sûr, malgré mes observations, il se peut que certaines plantes ne se plaisent malgré tout pas là où je souhaitais les mettre, pourtant elles étaient supposées être tout à fait adaptées…
Mais là encore, il faut accepter : le jardinier, tout comme le paysagiste, travaille avec du vivant, et le vivant, s’implante – ou pas – là où il se sent à sa place. Il en est de même des plantes et des hommes, tout vivant pourra croître chétivement, vivoter, au mauvais emplacement, mais mettez le au bon endroit et il prendra toute son ampleur!
Abandonnez l’idée même de contraintes, faites de celles-ci des atouts : les pierres angulaires de la construction de vos projets, au jardin comme dans votre vie.
Et, au jardin, comme dans sa vie, l’implantation des premiers éléments/des premières plantes créera immanquablement le terreau fertile à la mise en place de nouveaux projets/de nouvelles plantes.
C’est ainsi que fonctionne la Nature : à chaque stade de développement/de santé du sol, il y a des groupements végétaux qui lui sont adaptés. Ces formations végétales, se succédant, créent les conditions adéquates à la mise en place des suivantes: c’est ce que l’on appelle la dynamique végétale, les successions écologiques. Bâtir un projet de jardin (ou de vie) nécessite un temps d’observation, de réflexion pour se déployer sur des (bonnes) bases (réelles), alors, prenons-le!