Dans quelle ville veut-on vivre?
Mission…
Il y a peu, j’ai été sollicitée par un syndicat de copropriété pour faire une proposition d’aménagements paysagers sur une copropriété située dans le Val-de-Marne, en bout de ligne A du R.E.R. Le contact était sympathique au téléphone, le projet semblait dans mes cordes, aussi, afin de mieux comprendre la demande, rendez-vous fût pris sur le site la semaine suivante.
Le site: un immeuble des années 70, avec à son pied un grand espace minéral en dalles gravillonnées, ponctué de quelques jardinières en béton peuplées de rosiers, d’ifs et d’autres végétaux. Le tout entretenu en labourant la terre allègrement, pas une trace de « mauvaises herbes », pas une trace de vie non plus. Une route extrêmement passante limite le lieu à l’Ouest, les poids-lourds se succèdent dans un vrombissement de moteurs et de pots d’échappement, tandis qu’à l’Est une voie résidentielle prend place. L’espace est en pente, des escaliers conduisent de la voie résidentielle vers la nationale et plus loin à la gare…
…de paysagiste?
La paysagiste était attendue pour trouver une solution à un problème. Le problème était le suivant: cette dalle est aujourd’hui un espace ouvert, mais il s’avère que, contrairement aux apparences, il appartient à la copropriété et est assujetti à une servitude de passage car sa traversée permet de rejoindre la gare de R.E.R.
L’espace est ouvert, exposé plein Sud, quelques commerces prennent place au pied de la tour, mais ce ne sont pas les seuls, des « gens » restent aussi à discuter lorsque le soleil pointe le bout de son nez au-dessus des nuages d’Île-de-France. Et le problème est là!
Les gens qui « squattent », parlent, font du bruit, restent, rigolent, fument et passent une partie de leur temps là. Ces gens, sont peu respectueux, ils jettent des papiers et autres détritus dans les massifs, lesquels sont entretenus aux frais de la copropriété.
La paysagiste se doit donc de trouver une solution à ce problème de « gens ».
Malaise de mon côté. Cela n’était pas sans me rappeler des discours que j’abhorre et que j’avais entendu plusieurs fois dans mon travail de salarié de la bouche des services communaux. Cela m’a également rappelé un article que j’ai écrit il y a quelque temps dans Openfield…
Alors c’est ça un paysagiste? Quelqu’un qui, par sa compétence d’aménageur de l’espace public doit trouver des solutions pour virer les gens?
Du reste, la solution était trouvée, c’était: clôturer, ou alors mettre des éléments en haut des murets afin qu’on ne puisse plus s’y asseoir. Des pics, ou des arceaux, bref « quelque chose » qui soit dissuasif pour les derrières des « gens ».
Je m’étais donc déplacée jusqu’ici pour m’entendre demander de trouver une solution au vivant?
Vivant
Malgré mon désappointement, j’engage la conversation, fait parler mes interlocuteurs. La dalle sur laquelle nous nous trouvons surplombe un parking. L’étanchéité de l’ensemble semble en fort mauvais état, confirmation dans le parking souterrain, ou infiltrations et stalactites marquent le plafond en béton.
L’ingénieur paysagiste reprend le dessus et suggère, avant toute intervention, de penser, en premier lieu, à faire faire un diagnostic de la structure (vétuste) et de son étanchéité. Comment proposer un projet si l’on ne sait pas quel poids supporte la dalle? Pourquoi engager des travaux (de clôture ou autre) sur un espace si celui-ci va être remanié et repris par la suite? Le bon sens prévaut, il faut d’abord savoir avec/sur quoi on travaille, afin d’utiliser les finances à bon escient.
Cependant, la discussion continue et je demande pourquoi clôturer si c’est pour ne rien faire de l’espace au-delà de la clôture?
En quoi cela ferait de cet espace clos un lieu plus respecté?
Pourquoi ne pas l’habiter? Il leur appartient, aussi tant qu’à le clore, autant en faire quelque chose…
Se passe alors un « petit miracle », l’un des copropriétaires demande si l’on ne pourrait pas faire un potager.
La paysagiste jubile (intérieurement), elle l’avait cette idée, mais, étant donné les circonstances, il ne lui semblait pas de bon ton de leur livrer mais plutôt qu’ils s’en emparent. Et le miracle s’est produit…
En guise de conclusion
Finalement, peut-être que cette entrevue, qui ne m’aura pas permis, dans l’immédiat, de proposer mes services, aura-t-elle cependant servi à faire germer une graine…fertile?
Nous ne pouvons changer le monde avec un plan, un projet ou une idée. Nous ne pouvons même pas changer les autres avec nos convictions, nos propositions et nos conseils. Cependant, nous pouvons créer un espace où les gens auront envie d’abaisser leurs défenses, de laisser de côté leurs soucis et d’écouter attentivement et avec ouverture les voix qui s’expriment au centre d’eux-mêmes. Henri Nouwen
Peut-être est-ce cela la mission du paysagiste: créer des espaces habitables, vivables où l’on se sentirait suffisamment bien pour être soi?