Le sol, enquête sur un bien en péril de…
Un livre synthétique sur les enjeux concernant le sol
Dans ce livre, réédité cette année, après une première parution en 2014, sous le titre « Cessons de ruiner nos sols« , Frédéric Denhez nous emmène dans une enquête très complète au sujet du sol, ce vaste inconnu.
Il entame son livre en écornant l’image du couple Claude et Lydia Bourguignon, qu’il juge trop égotique, mais à qui il reconnaît néanmoins le mérite d’avoir été dans les premiers à sonner le tocsin quant à la mort annoncée de nos sols. Face à leur discours bien rodé, alarmiste et qui peut être jugé démagogue par certains, il adopte un ton plus consensuel, sans perdre néanmoins son humour.
Le sol, un sujet qui en impacte beaucoup d’autres
Le livre est vraiment très bien construit, car il traite de manière exhaustive de nombreux sujets auxquels le sol touche, de près ou de loin.
Frédéric Denhez nous conduit tout autant auprès des scientifiques, pour comprendre brièvement comment se forme un sol et quels sont ses habitants, mais aussi auprès des agriculteurs « qui font autrement ». Il nous explique en quoi les décisions politiques qui ont conduit à la création de la PAC ont modifié tant nos paysages de campagne que la qualité de nos sols, avec la fameuse « révolution verte » qui a conduit à standardiser l’agriculture, et à faire évoluer le statut de paysan à celui d »exploitant agricole » (la sémantique est ici loin d’être anodine).
J’ai aussi apprécié, en tant que paysagiste, son chapitre relatif à l’urbanisme et les conséquences délétères des décisions publiques : nous assistons actuellement à la perte de 26m² de surface agricole chaque seconde, en France.
Évidemment, il est à noter que bien souvent, les terres agricoles qui disparaissent sont parmi les « plus belles » : les plus fertiles. Étant seine-et-marnaise, résidant non loin de Disney, je peux témoigner du fait que ce qui était encore autrefois des grandes cultures est aujourd’hui devenu un ensemble tentaculaire de villages briards transformés en villes néo-haussmanniennes sans âme, accompagnées de leur golf, énorme centre commercial et autres zones industrielles. Le tout sur des plateaux briards surplombant la vallée de la Marne, identifiés comme très favorables aux cultures. Cela se trouve dans le fameux « secteur IV » de Marne-la-Vallée, et ici se joue sous nos yeux blasés le rêve français de la « maison avec jardin », qui grignote les terres agricoles. Mais comment fera t-on pour manger quand l’urbanisation aura mangé toutes les bonnes terres et qu’il ne restera plus que les terres ingrates pour nous nourrir?
Au travers de ce livre, on comprend que l’enjeu dépasse celui des bonnes méthodes de jardinage mais qu’il est aussi celui de choix politiques et de prises de conscience collectives.
Sol versus culture technologique?
Non, le sol on ne s’en fout pas. Nos sols disparaissent : on les retrouve chaque hiver, après les épisode pluvieux dans nos rivières, tandis que chaque jour de vent, ils s’envolent (les américains l’ont d’ailleurs saisi plus vite que nous, après les terribles épisodes de Dust Bowl des années 30), et qu’au puissant soleil d’été ils se meurent (devenant cuits à point).
Oui, nos sols sont clairement en train de disparaître. Et sans sol, pas d’agriculture, et sans agriculture, pas de nourriture, que ce soit humaine ou animale (bien que, ne l’oublions, pas nous sommes aussi des animaux…).
Les chimères technologiques qui fleurissent à droite à gauche, dans les villes ou dans des zones industrielles agricoles, promouvant l’agriculture hors sol à base d’hydroponie ou de culture dans de la laine de roche ou autres trouvailles, à grand renfort d’énergie, ne sauraient nourrir l’humanité. Je n’y crois pas. Ce sont, à mes yeux, des subterfuges qui visent à nous faire croire que, grâce au renfort de la technologie, nous arriverons toujours à nous en sortir, nous autres, animaux hautement intelligents que nous sommes (?).
Il me semble que ce discours, prônant la technologie comme une solution à tous nos maux est un leurre : comment fera t-on pour utiliser ces brillantes technniques sans pétrole bon marché et donc sans énergie? Encore une fois, l’homme se croit supérieur aux autres créations de la Nautre, tel un dieu tout puissant. Mais c’est ignoré l’ingéniosité et la simplicité des solutions employées dans le vivant, où tout se transforme et rien ne se perd (ce dont nous sommes à ce jour bien incapables).
Frédéric Denhez le rappelle, notre agriculture repose sur la consommation effrénée de calories énergétiques :
[…] en tenant compte de tout cela, il faut en moyenne brûler onze calories pour engendrer une seule calorie alimentaire, le double pour l’élevage bovin
Frédéric Denhez, Le sol
Les questions qui en découlent sont : est-ce réellement durable? et se voilerait-on la face?
En vue d’une conclusion
Je vous invite évidemment à lire cette passionnante enquête, synthétique et agréablement rédigée.
A l’heure où la fin d’année 2018 s’est achevée avec la COP 24 (qui n’a permis aucune avancée) et où une pétition, en vue d’assigner l’État français en justice devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques, a collecté plus de deux millions de signature, une dernière citation des foisonnantes données de ce livre :
Si l’on augmentait de 0,4% la teneur en matière organique des sols de la planète, ceux-ci seraient capables d’absorber la totalité du carbone que nous émettons chaque année dans l’atmosphère
Frédéric Denhez, Le sol
Cela paraît-il un objectif si inatteignable? Serait-ce une piste de solution pour contrer le réchauffement climatique?
Au-delà d’un crime contre l’humanité, la destruction de nos sols est un crime contre le vivant dans son ensemble. Frédéric Denhez propose d’ailleurs, en clôture à son livre, dix mesures pour le sol, simples et efficaces, qui permettraient de nous/le sauver.