Cataclysmes

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Cataclysmes

Cataclysmes, Une histoire environnementale de l’humanité de Laurent Testot, éditions Payot

Si je commençais cet article en disant « attention chef-d’œuvre », je serai peut-être un peu excessive mais pas très loin de ce que j’ai ressenti en terminant ce livre. Il est absolument captivant. Pourtant, son sujet, vaste, pourrait le rendre ardu à lire, mais ce n’est pas le cas.

C’est le genre de livre avec lequel vous avez envie de « bassiner » tout le monde pour qu’il le lise. Le genre de livre dont vous parlez à tout vos proches, qui vous a tellement subjugué que vous voudriez que chacun le lise.

Et, comme avec cette certaine substance, la dose faisant le poison, chacun s’accordera pour dire que nous avons beaucoup augmenté la dose depuis plusieurs décennies, ce qui nous conduit aujourd’hui à prendre (ou pas) la mesure de nos actes.

Empathie

Il y a tellement de sujets abordés dans ce livre, qu’il serait vain d’essayer ici d’en faire un résumé.

L’histoire humaine passe par le rassemblement d’individus en groupes et tribus, faisant émerger un phénomène d’empathie. Noble sentiment, mais qui peut s’avérer à double tranchant.

L’empathie induit un revers. Nous aidons nos proches, ceux que nous identifions comme nos semblables. Mais ce faisant, nous définissons une sphère d’appartenance. Un « nous » et un « eux ». Un « nous » contre un « eux ». Le Singe coopératif est raciste, nationaliste et spéciste (en ce qu’il hiérarchise humains et animaux). Car l’évolution a accru en lui, à des niveaux inégalés, ce besoin de fusionner avec ses proches, et cette nécessité de désigner une altérité à laquelle se confronter.

Laurent Testot – Cataclysmes

Aujourd’hui on déplore les « communautarismes », mais on comprend qu’ils sont, en quelque sorte, inféodés à la nature humaine. Les uns comme les autres, nous sommes conscients (pour la plupart d’entre nous) de faire partie d’une humanité, unique, mais pourtant, des phénomènes incontrôlables de différenciation se font jour : on parle de Sa famille, Ses amis, Ses collègues et Son entreprise, Son pays etc. Il semble dés lors difficilement envisageable de faire émerger ce sentiment d’appartenance à un ensemble plus vaste que notre cercle de connaissances, dans le but, par exemple, de prendre des mesures concertées contre les changements climatiques.

Loin de moi l’idée d’excuser l’humain, force est juste de constater que la difficulté est réelle.

L’exode, non plus rural, mais migratoire que nous connaissons aujourd’hui, où des humains fuient des régimes totalitaires, les tortures ou des famines, est un phénomène qui a de tout temps existé. A ceci près qu’auparavant, on accueillait et intégrait les populations, et qu’aujourd’hui nous sommes bien loin des formes d’hospitalités passées.

Qu’imaginer de ce qu’il se passera avec les réfugiés climatiques? Ces populations devront (doivent) fuir car leurs lieux de vie auront (sont) été rendus inhabitables en raison de la montée des eaux, des sécheresses ou des inondations…

Comment se comportera Singe? Comme aujourd’hui? Dans chacun des cas, on peut s’interroger sur le(s) responsable(s) : n’est-ce pas l’humain? De fait, ne serait-il pas de son devoir d’accueillir ses semblables? A qui applique t-on l’empathie? Doit-elle être discriminante ou universelle?

Culture et agriculture

L’histoire de l’humanité c’est aussi l’histoire de la civilisation, ou comment de petites tribus isolées, inféodées ou non à un milieu, sont devenues des empires, puis des sociétés qui ont imposé leur vision au monde.

A la lecture de l’ouvrage, on constate que l’uniformisation de l’humanité commence assez vite, tout comme les premières formes de mondialisation.

Le grand tournant s’amorce avec la sédentarisation de l’homme, et son corollaire, le déploiement de l’agriculture. Cela induit une perception différente de Singe sur son environnement. L’agriculture conduit à bâtir des civilisations hiérarchisées, organisées et contrôlées. Les civilisations des céréales sont des civilisations du pouvoir

Car la périodicité de la récolte des céréales, leur rendement élevé et leur stockage annuel autorisent un contrôle, un prélèvement à dates fixes, une société hiérarchisée. Désormais les paysans produisent. Les fonctionnaires prélèvent, recensent et gèrent les stocks alimentaires. Les soldats assurent l’ordre intérieur et extérieur. Les prêtres garantissent la bonne marche symbolique de l’ensemble et, avec les rois dont ils forment la cour rapprochée, concentrent une part importante des richesses collectives

Laurent Testot – Cataclysmes

Singe parvient à domestiquer certaines plantes et animaux, grâce auxquelles il obtient le moyen de se sédentariser.

Ainsi, la sédentarisation, entraînant l’agriculture a conduit à l’avènement de civilisations, développant chacune leur propre culture. Chaque modèle agricole s’est bâti sur la domestication d’un certain nombre de céréales et autres denrées locales, comme le blé, pour notre bassin agricole européen et méditerranéen, le riz et le millet en Asie, ou encore le maïs en Amérique du Sud.

Agriculture et déboisement

Mais pour faire de l’agriculture, et cultiver ces céréales, qui apprécient les sols fertiles et les environnements dégagés, il faut faire place nette. Ainsi Singe déboise massivement, brûle, fertilisant au passage – temporairement – le sol. Là où l’agriculture pousse, les forêts trépassent.

La Méditerranée, il y a sept millénaires, change radicalement de couverture végétale : ses forêts de feuillus et de bruyères géantes cèdent la place à des surfaces qui, une fois cultivées, sont abandonnées et ne laissent plus pousser que des plantes adaptées à la sécheresse. Le même processus est attesté dans de nombreuses régions, au fur et à mesure des progrès de défrichement. La pâture des moutons et des chèvres comme le déboisement accentuent les phénomènes d’érosion et de recul de la biodiversité

Laurent Testot – Cataclysmes

[…] la biodiversité a chuté au fur et à mesure que progressait les champs.

Laurent Testot – Cataclysmes

L’humanité, une réussite (malheureusement) planétaire

L’exceptionnalité humaine réside non pas en un ensemble de capacités exceptionnelles, mais dans la dynamique que notre espèce a su créer en exploitant son milieu et en dopant ses compétences

Laurent Testot – Cataclysmes

L’humain est en fait l’espèce invasive ultime : toute espèce invasive prospère dans des milieux où elle ne rencontre pas de prédateur. Or l’humain n’a plus de prédateur, notamment depuis qu’il a terrassé les épidémies. Son expansion est sans autre limite que celle de la planète. De tous ces animaux disparus, cette sixième extinction amorcée il y a au moins 50 000 ans, démultipliée au XIXème siècle et toujours plus destructrice, nous sommes les coupables héritiers.

Laurent Testot – Cataclysmes

Ce livre est passionnant à bien des égards et l’auteur ne cherche pas à nous culpabiliser. Il nous expose, au contraire, de manière objective notre histoire commune, ce qui nous entraîne à prendre conscience que nous avons toujours exercé des actions sur notre environnement (mais dans des degrés qui ont cru au fur et à mesure du temps). Il me semble que ces pages d’histoire sont autant de leçon que nous devrions employer pour nous comporter autrement aujourd’hui. Comment se fait-il que nous soyons encore, pour certains, dans la négation de notre impact sur la planète?

Comment peut-on encore, de nos jours, nier l’influence de l’humain et la naissance de cette triste ère géologique qu’est l’Anthropocène?

Je ne sais comment conclure cet article, sinon en vous invitant à lire cet ouvrage captivant, qui conduit à s’interroger sur tant de volet de nos vies.

Singe a été l’acteur involontaire d’une altération définitive de l’ensemble des biotopes mondiaux, en mettant en contact les quatre parties du Monde.

Laurent Testot – Cataclysmes

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